Pathophysiologie du clampage aortique sus et sous rénal

C. Decoene
Service d’anesthésie réanimation en cardiologie -Dr Pol-
Hôpital Cardiologique CHRU de Lille 59037 Lille Cedex

La chirurgie de l’aorte abdominale nécessite l’interruption de la circulation au-dessus du niveau du segment de l’aorte intéressé par la chirurgie. Cette interruption classiquement appelée clampage et suivie du déclampage entraîne diverses conséquences que l’anesthésiste-réanimateur et l’infirmière aide-anesthésiste devront connaître, anticiper et corriger au cours de l’intervention. Le clampage peut également nécessiter l’utilisation de procédures particulières pour protéger certains organes de l’ischémie notamment le rein.

Les principaux phénomènes observés lors du clampage puis du déclampage de l’aorte abdominale sont les suivants

- l’augmentation de la postcharge et la modification de la capacitance veineuse avec redistribution de la volémie entraînant des variations hémodynamiques aggravant le travail du myocarde et des répercussions sur l’oxygénation tissulaire des zones non clampées.

- l’interruption de la perfusion des organes situés sous la zone de clampage entraînant une réponse métabolique liée à l’ischémie dont les métabolites sont libérés lors de l’ablation du clamp.

            - la remise en charge de la totalité des zones ischémiques et du relargage des substances produites par l’ischémie et la reperfusion

- l’augmentation brutale du contenant

- l’embol de matériel athéromateux

L’intensité de ces différentes réactions dépend du niveau où sera apposé le clamp. Ces phénomènes sont détaillés ci-dessous selon un ordre chronologique d’apparition avec pour chacune des phases la prise en charge thérapeutique qui en découle.

I Le clampage

A/ l’adaptation des zones non ischémiques

La mise en place d’un clamp au niveau de l’aorte abdominale va immédiatement augmenter la postcharge en limitant le lit vasculaire disponible. Cela se traduit par une élévation brutale de la tension artérielle qui va entraîner une redistribution réflexe du volume sanguin vers la partie située au-dessus de la zone de clampage. Cette redistribution va être sous la dépendance de la vidange du territoire veineux sous le clampage et d’une veinoconstriction des zones situées au-dessus du clampage. L’élévation de la post-charge et les variations de la précharge vont exposer le myocarde à une augmentation de sa capacité de travail. En l’absence d’altération de sa vascularisation coronaire celui va s’adapter (effet Anrep) et assurer le travail nécessaire. Par contre en présence d’une atteinte coronarienne on peut alors observer une altération sévère de la contractilité liée à des phénomènes ischémiques et une défaillance myocardique.

Cette redistribution vasculaire diffère en fonction de l’étage de clampage.

Lors d’un clampage supracoeliaque on observe l’augmentation de la précharge comme en témoigne la mesure de la PVC et des surfaces télédiastoliques en échographie. Cette élévation de la post-charge s’accompagne d’une élévation du débit cardiaque. En cas de clampage sous-coeliaque et infrarénal, l’élévation de la précharge n’est plus observée, ceci est expliquée par  la présence du réservoir veineux splanchnique qui peut absorber une partie de la redistribution de la volémie et par la présence d’une compression chirurgicale de la veine cave. Cette baisse de la précharge peut avoir un effet néfaste sur l’hémodynamique intracardiaque avec l’absence d’adaptation à l’élévation de la post-charge et une baisse du débit cardiaque, elle est parfois aggravée par une hypovolémie consécutive à l’utilisation de vasodilatateurs ou de saignements peropératoires.

L’oxygénation tissulaire des zones non clampées est perturbée. Il a été démontré que la présence d’une redistribution de la circulation vers les zones non clampées entraînait paradoxalement une limitation de l’oxygénation de ces même organes en raison de l’ouverture de shunt et d’une modification de la microcirculation probablement sous l’effet des catécholamines. La sécrétion de catécholamines au cours du clampage de l’aorte est indépendante de la présence d’une ischémie elle est en relation avec un phénomène réflexe liée à une dilatation de l’aorte liée à l’augmentation de pression. L’utilisation de vasodilatateurs permet de corriger partiellement cette anomalie de distribution de l’oxygène.

B/ la réponse des organes non vascularisés.

La plupart des organes situés sous les artères rénales peuvent tolérer des temps d’ischémie supérieurs à l’heure permettant la réalisation du geste chirurgical.

Les organes situées sous le clampage sont en situation d’ischémie subtotale. Il peut persister une circulation collatérale permettant d’amener un flux sanguin minimal vers ces organes. Ce flux sanguin est dépendant de la pression générée au-dessus du clampage. L’impact de cette collatéralité reste discutable en dehors de patient porteur soit de coarctation congénitale soit de thrombose progressive de l’aorte. Dans ces cas la collatéralité a pu se développer. L’utilisation de vasodilatateurs entraîne une diminution de cette collatéralité la précarité de celle-ci doit être connue afin de manier les vasodilatateurs avec précaution.

La tolérance à l’ischémie ne signifie pas l’absence de répercussions métaboliques. L’arrêt de la circulation instaure un métabolisme anaérobie avec acidose lactique. Il existe une activation locale de la coagulation avec formation de microthrombi et d’agrégats de cellules sanguines. L’ischémie induit également une activation non spécifique du système immunitaire avec parfois une activation parfois spécifique liée à la libération d’endotoxines notamment au niveau de la barrière intestinale.

Enfin l’ischémie entraîne par le biais du système nerveux sympathique la sécrétion réflexe de catécholamines endogènes comme lors d’un état de choc. Cette sécrétion vient renforcer la réponse liée à la dilatation de l’aorte supra-clampage.

Enfin l’absence de circulation sanguine entraîne une baisse de la pression hydrostatique au niveau des capillaires et provoque ainsi un transfert du milieu interstitiel vers le milieu intravasculaire

C/ la protection rénale

Lors d’un clampage supra-rénal, au-delà de 30 minutes d’ischémie les reins présentent des lésions irréversibles en l’absence de protection. Ce temps est raccourci si ceux-ci sont déjà altérés soit par une HTA préexistante ou un diabète. Il est donc nécessaire pour les reins de prévoir une durée d’ischémie courte ou le recours à des techniques permettant d’améliorer la tolérance à l’ischémie.

Le clampage sous rénal n’entraîne pas d’ischémie direct des reins mais retentit sur la distribution sanguine avec une redistribution au profit de la corticale entraînant une diminution de la filtration glomérulaire. Cette redistribution est sous la dépendance du sytème rénine-angiotensine.

L’atteinte rénale nécessitant le recours à l’hémodialyse après chirurgie avec clampage de l’aorte sous rénale est d’environ 5% avec un taux de mortalité associé élevé. Une attention toute particulière doit donc être portée à la prise en charge de la fonction rénale en périopératoire. En l’absence de  clampage des artères rénales la meilleure des protections est assurée par un management optimale de la volémie à l’aide à la fois de colloïdes et de cristalloïdes et par un maintien d’une pression de perfusion suffisante notamment en cas de pathologie hypertensive associée.

En cas de clampage, il peut être nécessaire de “ protéger les reins ”. Les techniques de protection sont les suivantes, l’hypothermie soit de surface soit par perfusion d’un soluté à 10°C directement dans les artères rénales, soit l’utilisation de diurétiques de l’anse. Toutes ces techniques visent à limiter la consommation d’oxygène par les néphrons.

L’utilisation de la dopamine ou de la dopexamine ou d’inhibiteurs calciques à faibles doses n’a pour l’instant pas prouvée un réel effet protecteur rénal, leur utilisation en l’absence de clampage a donné des résultats contreversés.

En pratique lors du clampage, le contrôle de la volémie est nécessaire pour permettre une adaptation correcte du myocarde à l’élévation de la post-charge. Cette élévation de post-charge doit être contrôlée par l’intermédiaire de vasodilatateurs à prédominance artérielle et d’action courte afin de permettre une adaptation rapide en cas de modification des conditions de précharge lors de saignements par exemple (l’ouverture de la coque anévrysmale avec la présence d’artères à destinée lombaires perfusées par la présence de collatéralités, une suture incomplète, un saignement de la zone dissection). Ce contrôle de la volémie est primordial et il doit permettre également de faire face à la phase de déclampage.

II Le déclampage

A/ l’augmentation brutale du contenant

Lors du retrait du clamp, le myocarde doit lors de ces premiers battements remplir l’ensemble du réseau exclu qui est à vasodilatation maximale en raison d’une adaptation vasculaire à l’ischémie. Cette adaptation se réalise assez rapidement en présence d’une volémie suffisante et d’une fonction myocardique normale. Malheureusement à cette augmentation brutale du contenant s’ajoute une vasodilatation liée à la mise en circulation des métabolites générées lors de l’ischémie mais également par le phénomène de reperfusion. Certains auteurs ont estimé à plus de 50% la baisse des pressions de perfusion sur les territoires supérieurs au clampage. Cette chute de pression peut retentir sur la perfusion coronaire et ainsi provoquer un déséquilibre entre les apports et les besoins du myocarde. L’hématocrite abaissé lors de la période de déclampage en raison des saignements et de la dilution entraînée par le remplissage augmente ce risque.

B/ La mise en circulation des métabolites de l’ischémie-reperfusion

La remise en circulation des métabolites issus de la période d’ischémie déclenche une vasodilatation systémique associée à une augmentation de la pCO2 nécessitant une adaptation de la ventilation.

Des micro agrégats créés lors de l’ischémie peuvent être embolisés dans le filtre pulmonaire entraînant une anomalie de ventilation-perfusion souvent infra-clinique.

La reperfusion entraîne la création de molécules très réactives tel que les ions superoxides à très haut pouvoir de lyse aggravant les lésions crées par l’ischémie et provoquant une boucle amplificatrice des lésions. 

La remise en charge d’une partie du territoire splanchnique peut libérer dans la circulation générale les produits de la translocation bactérienne liée à l’ischémie et augmentant ainsi le risque infectieux.

C/ les lésions mécaniques liés au clamp

La pose d’un clamp sur les parois d’une aorte athéromateuse comporte un risque de fracture des plaques d’athérome avec dissémination lors du déclampage soit de macro fragments soit de microembols réalisant un syndrome d’embolies de cholestérol se traduisant par de multiples ischémies focales au niveau des orteils et une insuffisance rénale par embolisation également

En pratique le déclampage n’est pas un simple retour à l’état antérieur préclampage mais comporte une période de vasodilatation extrême résultante de l’augmentation du contenant majoré par les phénomènes d’ischémie et de reperfusion. Pour cela il est nécessaire de préparer cette période lors des 15 minutes la précédant. Le contrôle de la volémie est la clé du succès de cette période bien avant le recours aux inotropes, il doit comprendre l’évaluation des pertes insensibles, des pertes sanguines et bien souvent une déshydratation préopératoire. Les effets des vasodilatateurs doivent être parfaitement contrôlables en raison des variations brutales de la volémie. La ventilation doit être adaptée pour faire face à l’augmentation de pCO2 résultante de la mise en circulation de territoire exclu de la circulation.

En conclusion

Le phénomène clampage-déclampage n’est pas un simple phénomène mécanique, il s’accompagne de nombreuses réactions qui concourent pour la plupart après la phase hypertensive initiale à une vasodilatation intense qu’il est nécessaire de bien contrôler pour permettre d’en limiter les effets. Dans cette pathologie, l’approche de la volémie et le contrôle de la pression de perfusion en sont les clés majeures